
Auteur(s) : Caroline Darnay
Artiste(s) : Caroline Darnay, Marc Duret, Duncan Talhouët
Metteur en scène : Caroline Darnay
✨ Irène Kalder – L’ombre de Schindler, la voix du doute
Dans un hôtel de luxe à Munich, au début des années 80, une femme sort enfin du silence. Irène Kalder - Majola, ancienne secrétaire d’Oskar Schindler, puis compagne d’Amon Göth – le commandant du camp de Plaszow surnommé le "Boucher d’Hitler" – accepte d’être interviewée par un journaliste américain et son cameraman. L’un a combattu pendant la guerre, l’autre est juif. Ils viennent chercher des réponses. Elle, après quarante ans d’anonymat, accepte de livrer sa vérité.
Ce huis clos tendu, glaçant, est au cœur d’un spectacle aussi fort que dérangeant, qui nous confronte à l’ambiguïté humaine dans ce qu’elle a de plus insaisissable.
🎭 Un théâtre de la complexité
Irène Kalder n’est ni tout à fait innocente, ni tout à fait coupable. Est-elle une victime du monstre qu’elle a aimé ? Une complice aveuglée ? Une femme brisée qui s'accroche à ce qu'elle peut encore sauver d’elle-même ? Face à elle, les deux hommes – pourtant venus l’interroger – se dévoilent peu à peu. Eux aussi ont leurs zones d’ombre, leurs contradictions, leurs blessures mal refermées.
La pièce avance dans la nuance, dans l’incertitude. Elle brouille les lignes. On ne sait plus qui manipule qui, qui cherche la vérité ou à se protéger. Et c’est là que le théâtre devient vertigineux : en nous obligeant à suspendre nos jugements, à penser au lieu de réagir.
🎥 Une mise en scène immersive et saisissante
La grande force de ce spectacle réside aussi dans sa mise en scène, d’une finesse remarquable. Tout est conçu pour donner l’illusion d’un véritable tournage. Les micros, les déplacements des comédiens, les silences entre deux prises, la tension du hors-champ : tout concourt à nous faire croire que nous assistons, en direct, à l’enregistrement d’un moment unique, précieux, dangereux.
Ce réalisme assumé crée une immersion totale. On devient témoin – presque complice – de cet entretien où chaque mot, chaque regard, chaque hésitation compte. C’est du théâtre vérité, du théâtre de la tension, et c’est captivant.
📺 Un écho très contemporain
Dans un monde où les récits manichéens prolifèrent, où les figures historiques sont souvent figées en icônes ou en monstres, Majola vient rappeler que l’histoire – la grande comme la petite – est faite de zones grises, de fêlures, de contradictions. Elle interroge la mémoire, la justice, le regard que l’on porte sur soi et sur les autres.
C’est une pièce sur le jugement, sur la rédemption impossible, sur les cicatrices du passé – et sur le pouvoir de la parole pour les rouvrir, ou tenter de les refermer.
🔥 À voir absolument
Si vous aimez les pièces qui bousculent, qui dérangent, qui vous laissent dans un silence habité à la sortie, Majola est pour vous. C’est un théâtre de l’inconfort salutaire, qui ne donne pas de réponses toutes faites mais vous oblige à chercher les vôtres. Un grand moment de théâtre – humain, troublant, nécessaire.
Mathieu Guéry-Couratier pour Passion Théâtre
Un double coup de cœur Passion Théâtre
